Pourquoi cette nuit j’ai rêvé intensément de Jean Laurent Cochet alors que ça ne m’était pas arrivé depuis des dizaines d’années ? Imaginez le choc en apprenant ce matin son départ… tout comme Fabrice Lucchini, avec qui j’étais en cours, depuis que je suis dans ce métier, chaque fois qu’on me demandait un professeur de théâtre, l’évidence absolue c’était Jean Laurent Cochet. Mais n’entrait pas qui voulait dans son cours, très prisé. Fallait passer une audition avec l’inévitable fable de La Fontaine qui révèle immédiatement le potentiel d’un comédien. En 71, dans la journée j’étais élève au centre de la rue Blanche (devenu Ensatt depuis) où mes professeurs étaient excellents certes (Teddy Bilis, Jacques Henri Duval, Sacha Pitoeff, René Dupuis…) mais le soir je filais au cours privé de Maître Cochet. Et là, le bonheur absolu. On n’était plus à l’école, au cours classique, on était projeté dans la cour des grands. De l’oxygène à haute dose. Un mois chez Jean Laurent. ça équivalait à 10 ans dans n’importe quel autre cours. Il pouvait rester 4 heures sur trois répliques et c’était d’un passionnant, d’une intelligence, d’une finesse, d’une évidence… avec lui Corneille, Racine, Marivaux, Molière semblaient avoir été écrits le matin même tant sa direction était moderne. Je me souviens encore de mon émerveillement, de mon excitation lors de mon premier cours. Les cieux s’ouvraient. Tout s’éclairait, devenait limpide… je l’ai véritablement vénéré. Évidemment, fallait digérer son enseignement pour ensuite le restituer avec sa personnalité. Il était de la lignée de Louis Jouvet via Jean Meyer qui fut mon second mentor. Quel bonheur c’était de passer une scène et de l’entendre « couiner » aux finesses que vous aviez préparées en accord avec ses préceptes. Le cours lui même était d’une dramaturgie troublante… on ne savait jamais comment ça allait se passer, le maître pouvant être très dur avec certains… ou enthousiastes avec d’autres et là c’était un feu d’artifice de trouvailles et d’intelligence. Je pourrais écrire un livre sur Jean Laurent, le plus grand professeur de théâtre que nous ayons eu depuis 50 ans. Avec Patrick Green (également son élève) on faisait partie des chouchous et souvent pour terminer le cours dans les rires il nous demandait de passer nos fables de La Fontaine que nous détournions, sans en changer ni rajouter un mot… grâce à un découpage très précis qui le mettait en joie. Vous montrerai ça en vidéo dans les jours qui viennent. Il nous avait d’ailleurs engagé au théâtre du Palais Royal pour des rencontres sur la Fantaisie. Il avait aussi accepté de mettre en scène notre numéro de duettistes pour le théâtre de 10 heures. Une parodie de western électoral. Grâce à son enseignement j’avais obtenu le premier prix de diction du Conservatoire National avec la fable « Les Femmes et le secret » Ah mon Jean Laurent, comme tu vas manquer aux futures générations de comédiens… que de fois à mon petit niveau, en mettant en scène, j’ai dit à mes comédiens, en t’imitant « Même sentiment, même note ! Ne ferme pas ton sens… finale en l’air voyons ! » Oui nous les Cochetiens nous faisons partie du clan des finales en l’air. Que de comédiens parlent faux en mettant toutes leurs finales en bas, en fermant tous leurs sens. Je l’entends encore dire d’une voix assez aiguë « En haut de ton inspire préfinaaaaale…. et … Finale ! » Il y a encore quelques années, je suis retourné souvent assister à son cours, pour le plaisir et le bonheur de l’entendre. Je retrouvais notamment mon Henri Tisot avec qui j’avais beaucoup joué, fan absolu de Jean Laurent. J’étais fier de faire partie de ses irréductibles. Il m’a donné la lumière du théâtre. Le voilà parti dans l’ombre… au nom de tous ceux qui vous doivent la vérité d’un texte, le respect et la re-création d’un auteur… une admiration éternelle mon Maître. Grâce à vous l’art théâtral tout entier a progressé.